Pour ceux qui ne connaissent pas Philippe Duchemin, ce CD est une bonne occasion de le découvrir, dans un élément naturel où il excelle: le trio, en compagnie (et non pas simplement "accompagné") de Patricia Lebeugle et de J.P. Derouard.
Dire de Philippe Duchernin qu'il doit aimer Peterson est un pléonasme: l'ombre du Maître rôde souvent, mais inspiration n'est pas plagiat, et on devine bien d'autres parentés plus ou moins esquissées avec Tommy Flanagan, Gerald Wiggins, Tatum, Hank Jones, bref toute cette longue lignée de pianistes chez qui un discours souvent délicat de la main droite s'appuie toujours sur les fondations d'une gauche rythmique très percutante, à la précision simplement implacable. Alors, musicien caméléon? Non, Jazzman tout simplement: comment leur reprocher de garder en leurs papilles le souvenir des saveurs qui les ont nourris?
Effeuillons quelques titres; le CD commence par Jogging in Paris, composition du leader. Démarrage très rhapsodiant en jolie ballade, entrecoupée de passages en 4 et en 3 temps. On rentre ensuite dans le vif du sujet par une improvisation ciselée avec swing, ou P.Lebeugle et J.P.Derouard (aux balais) font merveille. La conclusion par un retour en valse lente est un régal; peut-être le morceau le plus attachant de la liste.
It Ain't Necessarily So souffre d'une prise de son déséquilibrée où la batterie ressort beaucoup trop fort. Le pianiste y donne encore mieux la mesure du formidable rythmicien qu'il est, l'esprit d'Oscar est toujours là.
Les deux autres comparses ont eux aussi composé des titres, ce qui donne Sweet Progression (P.Lebeugle), élégante ballade aux riches accords et Bingo, de J.P.Derouard décidément bien mieux enregistré aux balais. Mélodie et harmonies intéressantes ce qui pourrait surprendre, mais J. P. est aussi trompettiste.
You Took Advantage On Me est exposé à la basse. Quelle bonne idée! P.Lebeugle a travaillé avec P.Boussaguet, ce qui nous tire un fil depuis Ray Brown.
Lotus Blossom est en medley avec As Time Goes Bye. J'avoue être toujours intrigué par l'attrait de certains musiciens pour ce thème, gentille romance qui évoque irrésistiblement un piano-bar, un soir où la boîte est vide et que le taulier se demande s'il ne va pas virer ce type qui lui coûte cher. Mais, Philippe Duchemin ne peut pas être soupçonné de racolage, il doit aimer le thème, et il s'y colle... Dont acte.
Avec Honesuckle Rose le trio donne toute la mesure de sa cohésion, sur un terrain connu. On démarre sur un petit salut, à Fats Waller, y glissant au passage une citation de Handful of key's. Puis, on s'éloigne subrepticement du géniteur, et c'est à Nat King Cole, pianiste, qu'on pense immanquablement: riffs en arpèges, volubilité et précision de la main droite, tout y est.
Alors, je conclurai en accord avec le texte de la pochette : c'est un vrai trio, ça tourne, ce n'est pas ancien, non plus d'avant-garde, c'est jubilatoire.
Texte et graphisme de la pochette sont remarquablement bien faits, avec un bon raccourci sur la carrière des 3 musiciens. Michel Mardiguian